samedi 30 août 2008

P. 66. En hommage à Gina Libera, Juste parmi les Nations

A 96 ans, Gina Libera vient de s'éteindre. Cette Juste avait sauvé de la Shoah la famille Stoutzer...

Les deux premières pages de ce blog décrivent la cérémonie de reconnaissance de Justes parmi les Nations qui se déroula le 3 décembre 2007 à l'Assemblée nationale. Des onze Justes honorés à cette occasion, une seule ne le fut pas à titre posthume : Gina Libera. La nombreuse assistance avait été unaniment impressionnée et par sa personnalité à la fois douce et volontaire, et par son courage tranquille. Aussi furent-elles nombreuses et respectueuses les marques d'attention qui saluèrent sa présence dans les salons de l'Hôtel de Lassay.

3 décembre 2007 : l'émotion de Gina Libera avant de recevoir sa médaille et son diplôme des mains de l'Ambassadeur d'Israël à Paris, Daniel Shek (Photo : JEA). Plus tard, elle devait être décorée de la Légion d'Honneur (Voir photo en bas de page).

Hélas, cette Juste parmi les Nations vient de s'éteindre. Elle était âgée de 96 ans.

Nous présentons à sa famille et à ses proches, ainsi qu'aux familles Le Guiniec et Stoutzer, nos condoléances les plus émues et les plus sincères.

Voici l'hommage qui lui fut rendu lors de la cérémonie organisée par le Comité Français pour Yad Vashem :

- "Le couple Stoutzer s'était installé à Paris en 1926. Lui, Hirsch Stoutzer, était originaire de Vilna en Lituanie. Elle, Rosa, née Tanevitzky, était venue d'Odessa en Russie. Leur premier fils, Armand, naquit en 1927. Le second, Roger, en 1932. Ils habitaient 24 rue du Faubourg Poissonnière, dans le 10ème arrondissement. Ils avaient un magasin de fourrures au 46 de la même rue. Pendant l'occupation, tous durent porter l'étoile jaune, les biens de la famille furent spolliés et le magasin passa aux mains d'un gérant "aryen".

Gina Libera était marchande de journaux. Elle était née en 1912 à Forcola, en Italie et elle avait naturalisée française en 1935. Elle tenait un kiosque rue Richer dans le 9ème arrondissement mais habitait au 8 de la rue du Faubourg Poissonnière. Elle s'était liée d'amitié avec ses proches voisins, les Stoutzer.

Lorsque les rafles commencèrent, les Stoutzer en furent prévenus par des policiers compatissants. Les parents et les enfants Stoutzer trouvèrent chaque fois refuge chez Gina Libera. Celle-ci leur ouvrit grandes ses portes et ne se préoccupa en rien des risques qu'elle prenait. Cela se produisit à plusieurs reprises, au moins cinq ou six fois se souvient Roger Stoutzer, et Gina Libera les cacha plusieurs semaines. Cet hébergement clandestin leur permit donc d'échapper aux rafles et d'avoir la vie sauve. De plus, leur amie reçut des marchandises et cacha des bijoux appartenant à un bijoutier de la famille des Stoutzer. Le tout fut intégralement restitué après la libération.

Pendant toute l'occupation de 1940 à 1945, Gina Libera mit régulièrement à l'abri le jeune Roger Stoutzer. Pour ce faire, ce dernier effectua de longs estivaux à Saint-Nicolas-des-Eaux dans le Morbihan, chez Marie et Charles Henri Guy (ses ex-belle soeur et beau-frère). Gina l'y envoyait avec son propre fils, Jean Le Guiniec. Les deux garçons qui avaient une dizaine d'années, partaient un peu avant les "grandes vacances" pour ne revenir qu'une ou deux semaines après la rentrée scolaire.

Pour Gina Libera, sa conduite était "normale" puisque Rosette Stoutzer était sa "copine" !

Roger Stoutzer avec ses cheveux blancs mais comme redevenu un enfant, main dans la main avec celle qui l'a sauvé, Gina Libera. Cérémonie du 3 décembre dernier (Photo : JEA).

Pour rappel, Marie et Charles Henri Guy furent également reconnus (mais à titre posthume) comme Justes parmi les Nations au cours de cette même cérémonie. Jean Le Guiniec reçut en leurs noms les médailles et diplômes de Yad Vashem.

Après la cérémonie organisée par le Comité Français pour Yad Vashem, Gina Libera fut élevée au grade de Chevalier de la Légion d'Honneur en sa qualité de Juste parmi les Nations (Photo: V. Saül).

"LE PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE FRANCAISE, GRAND MAITRE DE L'ORDRE NATIONAL DE LA LEGION D'HONNEUR, nomme, par décret de ce jour, Madame Gina LIBERA, Ancienne employée, Juste de France... CHEVALIER DE LA LEGION D'HONNEUR."

NB : Que Viviane Saül soit remerciée pour avoir suscité la rédaction de cette page.


mercredi 27 août 2008

P. 65. En mémoire des Juifs de St-Domingue

Une étude d'Elvire Maurouard
publiée aux Ed. du Cygne

Présentation des Editeurs (1) :

- "On connaît Haïti, première République noire, mais on ignore qu’elle fut l’un des rares pays à avoir accueilli les Juifs fuyant la répression nazie pendant la deuxième guerre mondiale. Ce n’est certainement pas un hasard. Au XVIIIe siècle, plusieurs familles juives avaient déjà choisi d’émigrer à Saint-Domingue, aujourd’hui Haïti.

Mais la nomination à Port-au-Prince du Comte d’Estaing le 27 décembre 1763 viendra semer le trouble dans les foyers juifs. Ils seront alors contraints de faire des dons pour des fondations publiques.

Dans cette étude historique, Elvire Maurouard (2) transcende les clichés pour nous décrire quelques unions interdites, celle de M. de Paz, juif accusé d’avoir envoyé les deux mulâtresses qu’il a eues avec une négresse à Bordeaux pour parfaire leur éducation.
Plusieurs échanges de courriers vont éclairer le lecteur sur le statut des Juifs à Saint-Domingue."


Alain Guédé, Le Canard enchaîné (20 août 2008) :

- "D'Estaing, ce fou dangereux.

En ce siècle des lumières, le Code noir (3) interdisait, en principe, aux Juifs d'exercer une activité, et même de vivre, dans les colonies. La plupart des gouverneurs des "Iles du Vent" fermèrent les yeux durant des décennies, laissant les ommerçant israélites faire des affaires et contribuer à la prospérité des Antilles.

Nommé gouverneur en 1763, le brave comte d'Estaing trouva que ce laxisme coupable avait assez duré. Dans un premier temps, il estima que tolérer les Juifs aux Antilles valait bien quelques menus services, et il se mit en tête de tondre systématiquement ses sujets pas très catholiques. "Dans un pays chrétien, les Juifs doivent, pour y être tolérés, faire venir de l'eau dans les villes, fournir des bateaux aux rois et s'occuper d'autres utilités", prescrit-il alors."


Détail d'une caricature du comte d'Estaing (DR).

"Pour d'Estaing, c'était encore insuffisant, et bientôt il promulgua un arrêté ordonnant l'expulsion de tous les Juifs de Saint-Domingue. Or ces Israélites, qui n'avaient le droit de pratiquer ni le commerce ni l'exploitation des esclaves, contribuaient, par leur activité commerçante, à la prospéfité des îles. L'idée de les voir émigrer vers les colonies britanniques sema la consternation à Versailles, au point que Choiseul, alors ministre de la Marine, traita ce brave comte d'Estaing de fou dangereux".

Notes :

(1) Editions du Cygne : cliquer ici.

(2) Native de Haïti, Elvire Muaroard est docteur ès Lettres, master en études diplomatiques mais aussi sociétaire à la Société des poètes français.
Vivant en France, elle a publié : "
L’Alchimie des rêves" (l’Harmattan), "Les beautés noires de Baudelaire" aux Editions Karthala, "Haïti, le pays hanté" (Ibis rouge). Son "Jardin de Baudelaire" a reçu le premier prix de l’Académie Internationale Il convivio.

(3) Article 1er du Code noir promulgué par Louis XIV en 1685 :

- "Voulons que l'édit du feu Roi de Glorieuse Mémoire, notre très honoré seigneur et père, du 23 avril 1615, soit exécuté dans nos îles; ce faisant, enjoignons à tous nos officiers de chasser de nos dites îles tous les juifs qui y ont établi leur résidence, auxquels, comme aux ennemis déclarés du nom chrétien, nous commandons d'en sortir dans trois mois à compter du jour de la publication des présentes..."

mercredi 20 août 2008

P. 64. 30 portraits de résistantes.

Michèle Agniel, Lucie Aubrac, Annette Chalut, Marie Jo Chombart de Lauwe, Josette Dumeix, Simone Fischer, Jacqueline Fleury, Jacqueline Fourré, Gisèle Guillemot, France Hamelin, Madeleine Jégouzo, Odette Kerbaul, Simone Le Port, Lise London, Colette Lorin, Adrienne Maire, Renée Maurel, Odette Nilès, Jacqueline Pardon, Christiane Petit, Gilberte Pradeau, Gisèle Probst, Françoise Robin, Cécile Rol-Tanguy, Marie-Claire Scamaroni, Jacqueline Tamanini, Germaine Tillion, Odile de Vasselot, Denise Vernay, Hélène Viannay...


Marie Rameau :
Des femmes en résistance. 1939-1945.
Préface de Claire Andrieu
Ed. autrement.

Présentation de l'Editeur :

- "Trente témoignages de femmes qui, pour des raisons politiques ou tout simplement parce qu'elles ne supportaient pas de voir leur pays occupé, ont choisi de résister. Trente photographies qui parlent aujourd'hui d'aventures humaines du temps jadis.

Marie Rameau est photographe indépendante (1).

Claire Andrieu, la préfacière, est professeure des universités en histoire contemporaine à l'Institut d'études politiques de Paris." (2)

Présentation reprise par les libraires :

- "Mars 1943, Simone Le Port devient agent de liaison dans le groupe de résistance dirigé par son mari, Julien. Elle héberge, dans sa ferme isolée de la campagne morbihannaise, des hommes réfractaires au STO, des armes et des munitions parachutées d’Angleterre. Avril 1944, elle est dénoncée, les Allemands brûlent la ferme. Simone est arrêtée et torturée. Elle garde le silence et est déportée à Ravensbrück. Elle rentrera chez elle en mai 1945.

Septembre 1983, elle raconte son histoire à une jeune femme : Marie Rameau. Profondément marquée par son récit, vingt ans plus tard alors que Marie est devenue photographe, elle fait son portrait. Simone vit toujours mais sa mémoire s’efface, doucement. De ce temps passé en compagnie de Simone Le Port, des lectures qu’elle lui a conseillées, les ouvrages de Germaine Tillion et de Charlotte Delbo, de son désir de dire, de lui dire, est née, pour Marie Rameau, l’envie de raconter son histoire. Et puisque, si souvent, Simone lui parlait de ces autres femmes qui avaient refusé le France collaborationniste de Vichy, elle a doucement tiré sur le fil qui les réunissait et, petit à petit, est allée à la rencontre de chacune d’elles. Chaque fois, elle a fait leur portrait, un portrait en noir et blanc, le plus simple possible, écoutant le récit de leur histoire, lorsqu’elles voulaient bien le livrer.

Dans dix ans, seuls les historiens pourront raconter l’histoire de ces femmes, il n’y aura plus de témoins. Ce livre pour montrer les visages des vieilles dames qu’elles sont devenues. Mais aussi, leurs voix singulières, mêlant les résurgences de leur histoire passée à la nécessité de la raconter.

« Seule la mort, du reste, donnerait, j’en suis sûre, un sens complet à mon action. Je ne l’envisageais qu’ainsi : se donner, donner sa vie. » Denise Vernay."

Extrait de la préface de Claire Andrieu :

- "C'est un mélange d'In Memoriam et de carnet de voyage, un album de souvenirs croisés qui mêlent des récits de résistantes et des notes de rencontre de l'auteure avec celles-ci, observations et conversations consignées qui sont autant d'étapes d'un périple qui n'aurait pas de raison de s'arrêter."

Yannick Ripa, Libération (10 août 2008) :

- "Des visages féminins marqués par le temps portent-ils les traces d’une vie passée, témoignent-ils de la force de caractère qu’il fallut autrefois pour refuser le nazisme et s’engager dans la Résistance ? C’est cette interrogation inattendue qui a guidé le travail de la photographe Marie Rameau. Son objectif a saisi des regards, des sourires, des langueurs, des quiétudes, des vivacités de vieilles dames qui conservent en leur mémoire, parfois pourtant défaillante, les souvenirs de leur lutte, toujours présentée comme anodine, tant l’héroïsation, on le sait, est si peu une posture ordinaire chez les femmes de l’armée de l’ombre.

Elles se veulent davantage gardiennes de la mémoire des disparu-e-s, le plus souvent un proche, frère ou fiancé ; elles sont les vecteurs de cette histoire que nombre d’entre elles sont allées offrir aux lycéens afin que la mémoire fasse rempart au retour de la barbarie.

A l’origine de cet ouvrage, la rencontre de l’auteur encore adolescente et d’une résistante, Simone Le Port, qu’elle n’osa pas interroger. Des années durant, des questions, si souvent posées, taraudent Marie Rameau : «Pourquoi devient-on résistante ? Pourquoi elle, et pas tout le monde ?» D’autres, si peu énoncées, semblent plus encore pertinentes. «Et après, comment vit-on ? […] Comment vit-on en compagnie de ceux qui n’ont rien fait ?»

Alors, on part à la rencontre de trente de ces combattantes dont la photographe nous décrit le cadre de vie ; la paix qui s’en dégage contraste avec le danger du temps de leur jeunesse. Ces femmes l’évoquent comme pour s’excuser de leur grand âge qui, à les en croire, les rend laides et si peu présentables sur ces pleines pages. Ainsi, cet ouvrage, sans mot dire et peut-être même sans que l’auteur en ait pleinement conscience, parle davantage de la vieillesse et de la manière dont elle est vécue par des femmes d’envergure."

La résistante Odette Kerbaul et l'auteure Marie Rameau (Photo : Ouest France)

François Simon, Ouest France (5 mars 2008) :

- "On y lit, on y voit et on y entend des ouvrières communistes, des grandes bourgeoises catholiques, des femmes ordinaires et des intellectuelles trapues. L'armée des ombres, du moins sa partie féminine, était constituée de tout un peu. Le dégoût de l'inadmissible, la dignité d'être soi traversent toutes les classes sociales.

Et puis, on y retrouve, poignantes, quelques photos qui sont déjà des souvenirs. Lucie Aubrac, Hélène Vianney ou France Hamelin ne sont déjà plus là. Il était grand temps de les regarder une nouvelle fois. De faire provision de ces regards tout à tour transperçants ou se perdant dans le vague. À 20 ans, elles ont tout vu et aujourd'hui, elles nous regardent. Un jour, leurs yeux vont se fermer. Le pressoir du temps besogne et nous arrache une à une ces dames lumineuses, éclairées de l'intérieur, extrêmement gaies et graves à la fois. Ces dames un peu mystérieuses comme Marie-Jo Chombart de Lauwe, toujours parmi nous, qui dit d'elle-même : « Je suis une revivante. »."

Anne Gauvillé, nonfiction.fr (12 mars 2008) :

- "Que dire 50 ans après l’horreur de ce spectacle, de notre impuissance face à ces bourreaux, de notre incapacité à soutenir le regard de leurs victimes …."

Ce sont de courtes histoires mais d'une grande intensité que nous livre Marie Rameau pour revenir sur leur passé de résistante, leur arrestation, leur déportation, leur "aujourd'hui". Écrits au présent, factuels et dépourvus d’artifices rhétoriques, les récits de ces femmes ne sont jamais dissociés des circonstances de la rencontre avec l’auteure. Le ton est juste, pudique ; il n’y a pas d’emphase, de langage convenu.

Tel un album de souvenirs croisés, ce livre suggère plus qu’il ne montre, évoque plus qu’il n’écrit. Le livre surprend aussi par la présence de portraits photographiques. Les visages sont sans artifices. Les portraits, en noir et blanc, défilent "comme des portraits d’amateurs des années 1950". Et bien que la liberté leur fût laissée de choisir la photo à publier dans un lot de trois, la réticence à paraître en image fut presque générale. "Vous savez, on n’avait pas cette tête-là… Il faudrait montrer notre visage à vingt ans en de plus de votre photographie, ce serait plus proche de la réalité. Les vieilles dames, ça ne fait plus de résistance … et ça ne pose plus pour des photos", souligne France Hamelin lors de sa rencontre avec Marie Rameau. Mais pour l’auteure, il s’agissait bien de les photographier aujourd’hui afin de respecter son objectif : partir "d’instantanés contemporains de destins inachevés pour remonter vers une époque révolue". (3)


Notes :

(1) Site de photos de Marie Rameau, cliquer : ici .

(2) Claire Andrieu a codirigé avec Ph. Braud et G. Piketty le Dictionnaire de Gaulle (Robert Laffont, 2006), et a participé au comité scientifique du Dictionnaire historique de la Résistance française dirigé par F. Marcot (Robert Laffont, 2006).

(3) Portail de nonfiction.fr avec cet article, cliquer : ici .

mardi 12 août 2008

P. 63. L' ombre de Bouchard rend trouble la Piscine de Roubaix

L'affaire devrait être entendue. Le scupteur Henri Bouchard se voulut collaborateur des occupants et le prouva sans conteste.
Néanmoins, à Roubaix, le Musée de la Piscine s'obstine à occulter cette tache indélébile pour, au contraire, tenter de blanchir et même de magnifier ce personnage si peu glorieux.


En conséquence, le nom même de Bouchard devient un repoussoir aussi bien pour des artistes que pour des historiens... Et ce Musée en perd une partie de sa crédibilité, amputé même d'une exposition de qualité (1) mais aussi d'un colloque international !

Car en octobre prochain, un laboratoire de recherche de l'Université de Lille 3 proposera un colloque exceptionnel sur la barbarie et les lieux de la barbarie. Y apporteront leurs contributions des historiens, des sociologues, des écrivains, des critiques littéraires de différents horizons du globe, tous auteurs de créations et de travaux sur les systèmes barbares. Car les valeurs qu'ils partagent résident dans le refus des indifférences ou des complicités, voire plus encore des collaborations avec toute forme de barbarie en ce monde qui ne manque hélas point d'imagination et de mises en
applications dans ce domaine.

Génocide des Arméniens (DR).

S'étendant sur toute une semaine, le programme de ce colloque comprend notamment une table ronde sur les génocides du XXe siècle. Animée par Danielle Delmaire, cette rencontre sera centrée sur des communications complémentaires et fondamentales telles que celles de :
- Claire Mouradian pour le génocide en Arménie (2),
- Yves Ternon pour le génocide au Rwanda (3),
- Pierre-Jérôme Biscarat (documentaliste à la Maison d’Izieu et doctorant sur la Maison d’Izieu) pour la Shoah.

De plus, deux diaporamas illustreront le travail mené en Ukraine par le¨P. Desbois (4) et l'arrestation des enfants d'Izieu (P-J Biscarat).


Les enfants d'Izieu (DR).

Toute une journée sera consacrée à la littérature, notamment celle d'Amérique latine, quand elle est confrontée à la barbarie, la décrit, la dénonce, la combat par la plume et par l'encre d'imprimerie. Et si la Shoah, l'Arménie, le Rwanda, l'Amérique latine ont déjà été cités, les Noirs ne seront pas oubliés, eux dont l'esclavage sera évoqué par des poèmes récités par Julien Delmaire.

Or il était initialement prévu qu'une journée ce colloque international d'une semaine pleine ait pour cadre le Musée de la Piscine. Mais après lecture notamment de l'article du Monde publié le 15 juin (5) et après réflexion, Danielle Delmaire, membre du comité d'organisation, a prévenu celui-ci de l'importance exceptionnelle donnée aux oeuvres d'Henri Bouchard dans le Musée même. Eu égard au profil collabo de ce dernier, le comité a été unanime pour retirer des murs de la Piscine la journée de ce colloque qui y était prévue. Et éviter ainsi que ce dernier ne soit obligé de cotoyer un contre-exemple inacceptable.

Pour en voir le coeur net, Danielle Delmaire, professeur honoraire de Lille 3 et directrice de publication de TSAFON (6), a visité l'actuelle exposition provisoire de la Piscine. Elle en a ramené ce compte-rendu pour le comité organisateur du colloque. Une confirmation sans appel du bien-fondé de refuser que ce colloque sur la barbarie ne puisse servir d'alibi à l'accueil réservé par ce Musée de Roubaix à un Henri Bouchard infréquentable.

Danielle Delmaire :

- "Un été de sculpteurs. Exposition au Musée de la Piscine à Roubaix.
Compte rendu d’une visite.

Cette exposition temporaire présente les œuvres de trois sculpteurs : Jedd Novatt, Carlo Sarrabezolles (1888-1971) et Henri Bouchard (1875-1960).

Les œuvres des deux premiers sont exposées dans deux salles moyennement grandes pour ce musée qui ne dispose pas de véritables grandes salles. En revanche, la salle qui abrite les œuvres de Bouchard est petite mais cette exposition se prolonge sur un côté du bassin de la Piscine où sont montrées des œuvres d’amis de Bouchard qui sont en possession de la famille Bouchard. C’est dire que c’est une très petite partie de l’œuvre de Bouchard qui est présentée au public et que, contrairement à ce qu’écrivait le journaliste de La Voix du Nord (18/06/2008, site de la Voix du Nord), il est difficile « de se faire sa propre opinion » sur l’œuvre et le personnage.

D’autant plus que, contrairement aussi à ce que Bruno Gaudichon, « conservateur du musée de La Piscine et initiateur du rapprochement avec le musée Bouchard » (La Voix du Nord -7-, même source), aurait dit : « rien de tout cela ne sera dissimulé aux visiteurs » (La Voix du Nord, même source) – tout cela c’est-à-dire la collaboration du sculpteur avec l’Allemagne nazie – rien de « tout cela » n’est signalé aux visiteurs.

En effet, cette modeste exposition se limite à la présentation des dessins de Bouchard concernant les pièces de camouflage d’espions français durant la Première Guerre mondiale, et rien d’autres. Le visiteur peut donc apprécier l’imagination de Bouchard pour dissimuler un poilu qui observe l’ennemi caché dans un faux tronc d’arbre, par exemple, ou dans une borne kilométrique etc. Les dessins sont amusants et renseignent, très certainement, sur la manière de mener une guerre d’espionnage, côté français. A ce titre, la visite de cette petite salle pourra occuper la demi-journée d’un groupe d’élèves accompagnés de leur professeur d’histoire qui vient de leur parler de la Première Guerre mondiale. Mais ces élèves, que sauront-ils de Bouchard en particulier et de la collaboration artistique en général ? Rien, car rien n’est affiché à l’entrée ni à la sortie de la salle pour évoquer la présence de Bouchard auprès des nazis, ou son opinion sur la colonisation. Les concepteurs de l’exposition peuvent se camoufler derrière le prétexte que le thème porte sur la Première Guerre mondiale et non la Seconde. Si on évoque le Pétain de Verdun, il est inutile de se souvenir du Pétain de 1940 à 1944. Soit, dans ce cas « tout cela » n’est pas à dire. Mais ce mutisme laisse présager un même camouflage lors de la mise en place de l’exposition définitive de l’atelier de Bouchard.

Le plus comique mais aussi le plus navrant : la salle qui abrite les dessins de Bouchard s’ouvre sur le bassin de la Piscine où, juste en face, une vitrine contient les céramiques de Picasso. Or ce même Picasso présida le comité directeur du Front National (Résistance) des Arts, réuni le 3 octobre 1944, qui jugea et condamna Bouchard pour sa collaboration artistique. « Tout cela » pourrait donc être évoqué dans ce face-à-face presque emblématique.

Enfin, la visite est expliquée par un catalogue où les auteurs auraient pu faire une œuvre pédagogique pour expliquer ce que fut la collaboration artistique. Mais le catalogue guide le visiteur dans la petite exposition sur le camouflage donc rien n’est expliqué. Une chronologie biographique de Bouchard est très évasive. Trois dates sont retenues : 1941, son voyage en Allemagne est mentionné mais il n’est pas précisé que c’est Goebbels qui invite le groupe d’artistes ; 1942, il est rappelé que les Allemands ont ordonné la destruction de trois de ses œuvres ; 1945, discrètement enfin son éviction de l’Ecole des Beaux-arts et son interdiction d’exposer pendant deux ans ne sont pas oubliées. Or le blog de Yad Vashem (8) fait référence au livre de Laurence Bertrand Dorléac : L’art de la défaite, 1940-1944, paru au Seuil en 1993 (481 p.), qui est explicite sur l’engagement de Bouchard auprès des collaborateurs les plus notoires tels Alphonse de Chateaubriant et le groupe « Collaboration » autorisé par Abetz. Tout cela doit être dit."
(S : Danielle Delmaire) (9)

(Façade du Musée de la Piscine. DR)

Notes :

(1) Lire le NB de la page 62 de ce blog. Claude Champi, Bernard Dejonghe, Philippe Godderidge, Jacqueline Lerat, Michel Muraour, Setsuko Nagassawa, Daniel Pontoreau et Camille Virot, céramistes, sculpteurs et verriers de grand renom refusent d'exposer à la Piscine pour cause de proximité avec Henri Bouchard.

(2) Auteur notamment de L'Arménie, Que sais-je ? PUF, 3e éd. 2002.

(3) Guerres et génocides au XXe siècle, Odile Jacob, 2007.

(4) Patrick Desbois (Père), Porteur de mémoire. Un prêtre révèle la Shoah par balles. Michel Lafon, 2007.

(5) Article de Clarisse Fabre dans Le Monde du 15 juin 2008.

(6) TSAFON. Revue d'études juives du Nord.

(7) Rappel à propos de La Voix du Nord. Dans sa Lettre n°49 de janvier 2003, le Club de la Presse du Nord - Pas de Calais écrivait :

- "Bourde" calamiteuse ou dérive politique étonnante au service publicité-annonces de La Voix du Nord ? Toujours est-il que fin septembre, un responsable des avis de décès du quotidien a censuré le faire-part annonçant la mort d’une vieille dame de cent ans, membre connue d’une famille juive de Lens d’origine polonaise, arrivée en 1920 avec les mineurs. Ses neveux, qui habitent Paris, ont fait insérer dans plusieurs journaux, en hommage à leur tante, le nom de son premier mari, Abraham, en précisant qu’il fut "fusillé par la milice du Maréchal Pétain" et celui de son compagnon Fred, "rescapé des camps nazis".
L’annonce passe intégralement dans Le Figaro et dans Le Monde. Mais, surprise, lorsque l’avis de décés est envoyé au quotidien régional, un responsable du service nécrologies demande de retirer deux mots : "milice du Maréchal Pétain" et "nazis". Le nouveau texte proposé à la famille, qui l’accepte après un moment d’étonnement, est donc édulcoré et retient les expressions suivantes : "fusillé en otage" et "rescapé des camps de concentration".
Etonné, un membre de la famille en informe Le Canard Enchaîné. Se faisant passer pour un proche, la rédaction téléphone à La Voix du Nord. On lui passe l’un des responsables de la publicité et des nécrologies, ayant un rang important dans la hiérarchie, précisent des journalistes du quotidien régional. Et celui-ci de répondre, selon les propos rapportés par Le Canard : "Nos lecteurs d’extrême-droite auraient pu nous reprocher les termes utilisés. Il y aura toujours des gens qui contestent l’existence des camps nazis"... Ou encore : "Des enfants de miliciens auraient pu se sentir visés... Et puis nous ne sommes pas là pour dire que Pétain a fait fusiller des gens."
La direction de La Voix du Nord a précisé dans un communiqué avoir "pris connaissance avec stupeur des propos prêtés à son collaborateur". Le journal a également présenté ses excuses à la famille et republié l’avis de décès dans sa version intégrale. Près d’un mois après avoir tronqué le premier texte, tout de même, et après que la "faute" ait été dénoncée par des journaux et des radios d’audience nationale."

(8) Page 51 de ce blog : A Roubaix, le Musée de la Piscine s'agrandit pour Henri Bouchard, Président du "Salon des Artistes français" tout au long de l'occupation.

(9) Que Danielle Delmaire soit remerciée pour avoir autorisé la mise sur ce blog de son compte-rendu.
Dernière publication : Les Communautés juives de la France septentrionale au XIXe siècle (1791-1914). L'entrée dans la Nation. L'Harmattan. 2008.

vendredi 8 août 2008

P. 62. "Voyages dans le Reich"

Des écrivains visitent l'Allemagne
de 1933-1945.
Olivier Lubrich. Actes Sud.


Présentation de l'Editeur :

- "Voici une anthologie de textes écrits sur le vif par des hommes et des femmes de lettres qui se sont rendus en Allemagne entre 1933 et 1945.

Beckett, Camus, Simenon, Denis de Rougemont, Virginia Woolf, Karen Blixen, Jean Genet..., tous contribuent au tableau précis, poignant et fort diversifié de la vie sous le nazisme. Ils évoquent le monde du travail et les conséquences immédiates de la dictature ; le système de la terreur et la persécution des Juifs ; la propagande politique et la militarisation de la société ; la soumission ordinaire ; l'économie de pénurie, les bombardements ; les travailleurs forcés et les mutilés de guerre, et, enfin, l'issue du conflit. Dépassant la simple description, les observateurs développent des analyses, des modèles d'interprétation, des ébauches d'explication de la domination nazie.

Sélectionnés pour l'édition française par Alberto Manguel, ces textes s'adressent aussi à la nouvelle génération, et ils apportent des réponses inédites aux questions qui hantent aujourd'hui encore l'humanité."

Extrait :

- "Quel rôle joue le fait que les auteurs venaient d'autres pays ? Comment l'Allemagne était-elle vue par des étrangers ? Comment apparaît-elle en tant qu'objet d'une littérature de voyage, d'une observation ethnologique ? Quelle image de l'Allemagne peut-on composer à partir des différents textes, quels sont les stéréotypes qui circulaient ? Et quelle signification a le national-socialisme dans ce contexte ?

Un grand nombre de ces voyageurs ne s'intéressaient pas exclusivement à la politique. Et ils ne fixaient pas forcément leur attention sur le présent. Leurs idées se nourrissaient de l'Histoire : de la mythologie germanique et du Moyen Age, de la littérature classique et romantique, de Goethe et de Madame de Staël, des contes de Grimm et de Friedrich Nietzsche, de Ludwig van Beethoven et de Richard Wagner, parfois aussi de l'expérience de la Première Guerre mondiale. Pour beaucoup, le paysage allemand était à l'origine d'une fascination exotique. Ce sont des modèles culturels prédéfinis qui ont déterminé la compréhension du IIIe Reich, qui ont été mis en relation avec ce que les voyageurs vivaient dans le présent. Le regard de ces étrangers ne reflète pas seulement les événements actuels, mais il est aussi le point de convergence de traditions historiques.

Ces voyageurs sont comme des ethnologues qui pratiquent "l'observation participative". Si l'Allemagne devient l'objet d'un regard "étranger" et de considérations ethnologiques, la perspective traditionnelle des récits de voyage, le regard de ce qui nous est "propre" sur ce qui nous est "étranger" est, du point de vue de l'Allemagne, inversé. Karen Blixen, par exemple, accumule les associations avec l'Afrique et l'Arabie, elle compare l'Allemagne nazie au Tibet et le fascisme à un islam expansionniste. On peut donc qualifier sa perception de "coloniale" dans la mesure où elle perpétue les modèles des récits de voyage classiques, dans lesquels une Europe éclairée s'approche d'un Autre primitif. Sauf que ce qui n'était ailleurs qu'une barbarie supposée s'est, dans ce cas, avéré bien réel."

Jean-Pierre Amette, Le Point (29 mai 2008) :

- "L'anthologie «Voyages dans le Reich» comprend ainsi 25 témoignages rédigés à chaud. C'est passionnant, troublant, surprenant...

On constate souvent que les écrivains sont plus subjectifs, influençables, ondoyants, fragmentaires que les correspondants étrangers. Ils subissent le charme des villes fleuries, des populations enthousiastes qui agitent des petits drapeaux. Ces écrivains voyageurs se transforment facilement en touristes, sensibles aux auberges propres, aux géraniums des balcons, aux routes bordées d'arbres fruitiers, à la propreté et à la discipline...

En fermant cette anthologie, on se dit que, dans ces années-là, il valait mieux lire les journaux américains, suédois, anglais, danois ou hongrois plutôt que d'écouter les témoignages si légers de quelques écrivains français passés en coup de vent dans l'Histoire, et sans en connaître la langue. A ce titre, le silence d'un jeune étudiant en philosophie, boursier, résidant plusieurs mois à Berlin, et nommé Jean-Paul Sartre, reste fracassant."

Didier Jacob, BibliObs (7 juillet 2008) :

- "La grande question du livre : quand pouvait-on tout comprendre ?

Christopher Isherwood a 25 ans lorsqu'il part pour Berlin, en 1929. Ce professeur d'anglais, qui signera bientôt le fabuleux «Adieu à Berlin», ne tiendra pas longtemps sous les nationaux- socialistes : il rentre vite à Londres («la civilisation»). Mais il a le temps de raconter comment l'Allemagne, dès 1933, ne pouvait rien ignorer : ce climat de peur régnant partout, les têtes qui piquaient dans les assiettes quand on arrêtait un opposant ou un juif. Extraordinaire tableau où se dessine l'imminence de la catastrophe : «Tous les soirs, je vais m'installer dans un grand café d'artistes à moitié vide, près de l'église du Souvenir. Des juifs et des intellectuels de gauche y rapprochent leurs têtes au-dessus des tables de marbre, s'entretenant à voix basse, angoissée. Beaucoup d'entre eux s'attendent à être arrêtés, aujourd'hui, demain ou la semaine prochaine.»

Tous martèlent la même vérité : la tragédie ne fut une surprise pour personne. Le Suisse Max Frisch le montre bien, qui raconte la perfusion des idées folles par le moyen de la propagande. Autre Suisse, Denis de Rougemont vise juste à chaque phrase (il arrive à Francfort en 1935) dans son «Journal d'Allemagne» qu'il publie en 1938. Avec cette formule qui sonne comme une évidence : «De toute façon, vivre à l'époque de Hitler et n'aller point l'entendre et voir, quand une nuit de chemin de fer y suffirait, c'est se priver de certains rudiments de toute compréhension de notre temps.» Une phrase qui, aujourd'hui, pourrait servir de feuille de route aux intellectuels du monde entier."

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NB :

Suite de la Page 51 : A Roubaix, le Musée de la Piscine s'agrandit pour Henri Bouchard, Président du "Salon des Artistes français" tout au long de l'occupation.

Huit artistes refusent d'exposer à Roubaix pour cause de trop grande proximité avec un sculpteur-collaborateur.

La Piscine, musée de Roubaix, annonçait l'exposition à venir de huit artistes. Ceux-ci viennent d’annuler collectivement leur participation. Leur motif ? Protester contre la place accordée par ce musée au sculpteur-collaborateur Henri Bouchard. Pour de amples informations, (re)lire la page 51 de ce blog.

Claude Champi, Bernard Dejonghe, Philippe Godderidge, Jacqueline Lerat, Michel Muraour, Setsuko Nagassawa, Daniel Pontoreau et Camille Virot, sont des céramistes, des sculpteurs et des verriers de grand renom. Ils n'entendent pas avoir leurs noms associés avec celui d'Henri Bouchard. Et s'expliquent dans un communiqué de presse repris par Jean-Pierre Thibaudat sur son blog et publié par Rue 89 :

- "Nous nous étonnons qu’il soit donné une place aussi importante et aussi singulière à un artiste au sujet duquel nous apprenons qu’il a été l’un des rares artistes ayant été interdit d’enseignement dans les écoles de l’état après la guerre par un arrêté du 22 janvier 1945 ; cette interdiction semble avoir été motivée du fait de son attitude affichée de collaboration dite artistique jusqu’à la fin de la guerre, comme l’atteste un article de sa part sur Arno Brecker dans la revue Illustration de février 1942 et un rapport du 30 juin 1944 de la Propaganda Abteilung."

Musée de la Piscine à Roubaix (DR).

lundi 4 août 2008

P. 61. "Le Péril Juif" selon Simenon

Au long de quatre semaines, Le Monde 2 va consacrer des dossiers à Simenon. Et les "obsessions" de ce voyageur viennent d'être publiées...
Mais comme des bulles remontant de la boue antisémite, reviennent alors en mémoire les articles de Simenon sur "Le Péril Juif".

(Simenon. 1920. DR)

Simenon se métamorphose-t-il en marronier de l'été ?
A partir du 9 août, Le Monde 2 l'adopte comme thème porteur de ses ventes.
De plus, La Quinzaine littéraire-Louis Vuitton, dans la collection "Voyager avec", publie un "Georges Simenon. Les obsessions du voyageur" dont les critiques commencent à rendre compte en termes généralement laudateurs.

Mais il y a des noms d'auteurs qui engendrent un dégoût certain. Celui provoqué par leur lecture complète. Quand ils plongeaient leur plume serve dans l'encre de l'antisémitisme. Et Simenon, indéniablement, est du nombre.

Spécialiste s'il en est, Danielle Bajomée assume la direction du "Centre d'études Georges Simenon" de l'Université de Liège (ville natale de l'écrivain). Elle ne dissimule en rien les infâmies du journaliste Sim(enon) à La Gazette de Liège. Journal ultra-catholique lié à l'Evêché. Quotidien qui va proposer à ses lecteurs, à partir de juin 1921, une vision du "Péril Juif" (1) revu et corrigé par Sim(enon) :

- "Le Péril Juif", une série de 17 articles pugnaces, radicalement et effroyablement antisémites... Ces articles repèrent les personnalités juives les plus influentes, prétendent utiliser de manière critique "Le Protocole des sages de Sion" et s'ingénient à construire l'idée d'une conspiration mondiale judéo-maçonnique...
Pour Simenon, les Juifs sont souvent banquiers ou diamantaires, ils ont le nez crochu, les cheveux crépus et dégagent une odeur désagréable."
(2)

Extraits signés par Sim(enon) :

- "Tout se tient, tout se précise dans ce mouvement néfaste qui menace le vieux monde : les Juifs, dans leur rage de destruction et aussi dans leur soif de gains, ont enfanté le bolchevisme. L'Allemagne s'en est servie pour affaiblir et réduire à merci un ennemi gênant..."

- "Les Catholiques seuls ont gardé leur indépendance et, avec les patriotes clairvoyants, ils restent les ennemis de l'idéal juif."

- "Ainsi, la pieuvre juive étend ses tentacules dans toutes les classes de la société, dans toutes les sphères où son influence ne tarde pas à se faire sentir. Et il en sera ainsi jusqu'à ce que le monde se décide enfin à réagir. À moins qu'alors, il ne soit trop tard."

L'intégralité de ces articles a été rassemblée par l'historien Jean-Charles Lemaire. A lire avec des gants mais à lire si l'on veut savoir ce qui se cache derrière les dénégations ultérieures d'un Simenon affirmant n'avoir fait qu'obéir aux ordres de la rédaction (3). Comme si le journalisme n'était qu'un métier de mercenaire, ici au service d'une cause sans excuse : l'antisémitisme.


Présentation (prudente) de l'Editeur :

- "Entre janvier 1919 et décembre 1922. Georges Simenon, qui sort de l'adolescence, exerce les fonctions de journaliste (ou de " reporter " comme il aime lui-même à le dire) à La Gazette de Liége. Cette première expérience professionnelle lui permet d'aiguiser un talent d'écriture que l'avenir confirmera de manière éclatante.

Dans ce grand quotidien catholique et conservateur. le jeune homme participe à toutes les activités journalistiques courantes : il rend compte des conseils communaux ou de diverses activités culturelles (comme les conférences). relate les faits divers, transcrit des dépêches. Bientôt, séduit par les dispositions naturelles de son nouveau collaborateur, le directeur de la publication lui confie une tâche plus alléchante : la rédaction régulière de billets d'humeur. Dans ces textes, le futur romancier révèle une maturité intellectuelle et des dons littéraires exceptionnels. Mais il traduit aussi des opinions très arrêtées et adopte un certain nombre de positions philosophiques et politiques qui ne manquent pas de surprendre : à un antisémitisme redoutable mâtiné d'antimaçonnisme, il allie d'autres convictions réactionnaires du plus mauvais aloi.

Pour comprendre la genèse d'une œuvre romanesque considérable, la lecture de ces premiers écrits se révèle primordiale. Aussi, le présent ouvrage édite-t-il une sélection éclairante des billets et articles marqués par l'engagement de leur auteur. Dans sa partie introductive, Jacques-Charles Lemaire, fin connaisseur de l'œuvre simenonienne, propose du comportement souvent déroutant du jeune "Sim" une explication qui, dans une perspective scientifique dénuée de tout esprit polémique, pourra permettre à tous les admirateurs du romancier de mieux appréhender les mobiles intellectuels et moraux d'une personnalité en train de se construire." (4)

Critique de Didier Pasamonik, Regards :

- "Tour à tour antisocialiste, anticommuniste et anti-maçonnique, il est aussi antisémite. Sa prose est une prose de combat mise au service d’une presse nationaliste et réactionnaire. Mais c’est surtout dans l’antisémitisme que l’indéniable précocité de son génie trouvera à s’ébrouer avec le plus de volupté.

Dans une série de quinze articles parus entre le 19 juin 1921 au 13 octobre de la même année, intitulés « Le Péril Juif », il démarque le fameux faux tsariste Les Protocoles des Sages de Sion pour égrener dans un feuilleton où le ton est à la fois docte et haineux (il puise si l’on peut dire, aux meilleures sources de l’antisémitisme de son époque), un concentré efficace et dévastateur de propagande antijuive. Dans une analyse où ni les Juifs, ni les Protestants ne sont épargnés, sans parler des Francs-Maçons, il dénonce la mainmise de la finance juive sur le monde, citant le "banquier juif anglais" Ricardo et le "Juif allemand" Karl Marx comme les inspirateurs d’une conception "mystico-judéo-économique", d’une "internationale de l’Or et du Sang", résultat de l’alliance entre la finance puritaine protestante et le socialisme."

Notes :

De l'océan des biographies rédigées par des simenologues distingués, émerge la somme de Pierre Assouline : Simenon, éd. revue et augmentée, Gallimard, 1997 (Folio).

(1) Marcel Jouhandeau retiendra le même titre de "Péril juif" pour une plaquette publiée en 1936 (Fernand Sorlot éditeur).

(2) Le Soir, 14 février 2003, article de Marc Vanesse.

(3) Lamentable défense de Simenon en septembre 1985 : "Toute ma vie, j'ai eu des amis juifs avec lesquels je m’entendais parfaitement y compris le plus intime de tous, Pierre Lazareff. Les locataires polonais et russes en pension chez ma mère étaient pour moitié des Juifs avec lesquels je me suis toujours parfaitement entendu."

(4) Jacques-Charles Lemaire, Simenon jeune journaliste. Un "anarchiste" conformiste, Ed. Complexe.

vendredi 1 août 2008

P. 60. Bibliothèque (3)

Liste des livres cités sur ce blog,
d'avril à juillet 2008.

- Jean-Emile Andreux

Mémorial des déportés du Judenlager des Mazures.
TSAFON, Revue d'études juives du Nord, n°3 hors-série,
P. 53.

- Laurence Bertrand-Dorléac

L'art de la défaite. 1940-1944.
Seuil,
P. 51

- Jean-Marie Borzeix

Jeudi Saint.
Stock,
P. 46

- Sam Braun

Personne ne m'aurait cru, alors je me suis tu (Entretien avec Stéphane Guinoiseau).
Albin Michel,
P. 38.

- Collectif

Poèmes de Czernowitz.
Ed. Laurence Teper,
P. 39.

- Victor Kuperminc

L'affaire Leo Frank. Dreyfus en Amérique.
L'Harmattan,
P. 54.


- Renée Poznanski

Propagandes et persécutions. La Résistance et le "problème juif". 1940-1944.
Fayard
P. 57.

- Zila Rennert

Trois wagons à bestiaux. D'une guerre à l'autre à travers l'Europe centrale. 1914-1946.
Phébus libretto,
P. 33.


- Evelien van Leeuwen

Modeste In Memoriam.
Ed. du Rocher,
P. 59.

- Jeannine Verdès-Leroux

Refus et violences. Politique et littérature de l'extrême droite des années trente aux retombées de la Libération.
Gallimard,
P. 51.

- Frédéric Viey

Le livre mémorial des juifs de Seine et Marne durant la seconde Guerre Mondiale. 1940-1945.
Ed. La Plume et l'Ecran,
P. 48.